14 Mar Comment créer du goût en panification?
Pour répondre aux attentes du consommateur en termes de goût du pain, le boulanger doit proposer des produits qui font la différence. Pour l’y aider, Lesaffre travaille à mieux maîtriser et comprendre cette composante complexe, variable selon les cultures et les individus. Il existe en effet plus de 540 molécules aromatiques dans une tranche de pain, dont les teneurs et l’association définiront le goût perçu par le consommateur. La sélection attentive des ingrédients (nature et composition des céréales, eau, sel, levures et levains…) ainsi que la maîtrise du process (vitesse et temps de pétrissage, fermentation et cuisson notamment) s’avèrent primordiales dans la création du goût. Certains experts considèrent ainsi que la qualité du pain dépendrait pour 75 % du savoir-faire du boulanger. Afin de ne pas travailler à l’aveugle, l’analyse des arômes est indispensable via des données analytiques, chimiques et issues de l’analyse sensorielle (évaluation des notes aromatiques et de la texture des produits).
Il existe plus de 540 molécules aromatiques dans une tranche de pain . La quantité et l’association de ces molécules constituent le goût du pain. Pour obtenir la bonne combinaison et donc un pain de qualité, le boulanger doit sélectionner ses ingrédients et maîtriser les étapes de sa production, chacun de ces éléments pouvant interagir avec les différentes caractéristiques organoleptiques
du pain (Figure 1).
Le rôle des matières premières
1)Les céréales
Jouer avec la nature ou la composition des céréales mises en oeuvre est la façon la plus évidente de diversifier la qualité de son pain. L’origine variétale du blé constitue la base de l’identité du produit. Elle joue non seulement sur le goût, puisque la variété de blé influence par exemple les teneurs en composés volatils issus de la fermentation , mais aussi sur la couleur plus ou moins jaune de la mie, qui dépendra des teneurs en pigments caroténoïdes de la variété utilisée. Ces caroténoïdes permettraient, par ailleurs, de limiter les réactions d’oxydation et donc la production d’hexanal, responsable de l’altération du goût du pain.
L’ajout de céréales complémentaires (seigle, sarrasin, épeautre, méteil, maïs, lin, sous forme de farines ou de graines) ou de fractions de céréales séchées après fermentation à différentes intensités (germes, malt, son) peut ensuite venir renforcer certaines notes aromatiques. Le choix de l’origine céréalière et du degré de séchage de ces éventuelles fractions, ainsi que leur combinaison, permettent d’ajuster l’équilibre aromatique du pain : ajout de notes « grillées », « torréfiées », « sucrées », orientation vers une typicité acide, masquage d’autres arômes…
2)L’eau
Deuxième composant le plus important du pain en termes de proportion, l’eau peut également influencer le goût du
pain. C’est notamment la présence de chlore en excès qui aura un effet négatif, d’une part, en freinant l’activité fermentaire
des levures (et donc le développement d’arômes) et, d’autre part, en généristique rant un goût indésirable (INBP, 2003). La dureté de l’eau (teneur en calcium notamment) peut quant à elle jouer sur la consistance de la pâte. Selon la qualité de l’eau disponible au robinet de la boulangerie, un osmoseur peut donc s’avérer utile.
3)Le sel
En tant qu’exhausteur de goût, le sel participe à la signature organoleptique d’un pain. Ce sont les ions chlorures qui stimuleraient les récepteurs de la langue, tandis que les ions sodium apportent le goût salé. Ces derniers sont davantage perçus sous forme libre, ce qui explique pourquoi le pain tiède paraît plus salé, les liaisons avec les protéines étant moins stables à chaud qu’à froid. Par ailleurs, l’acidité d’un pain peut permettre de réduire la teneur en sel.
Le sel doit être incorporé dès le début du pétrissage (sans contact avec la levure). Ajouté à la juste dose, il permet de révéler les arômes naturels du pain sans les masquer. Des solutions, telles que l’usage de sels minéraux, d’arômes, de levures dévitalisées, etc., permettent de réduire la teneur en sel dans un objectif de santé publique, tout en conservant les qualités organoleptiques des produits de panification. Le sel ne peut toutefois pas être totalement remplacé du fait de son rôle technologique ( voir article sur la réduction de sel) . Il possède notamment un effet sur la texture (participe à la stabilité du réseau de gluten) et la coloration du pain (freine l’oxydation des caroténoïdes par les lipoxygénases).
4) Levure et levains
Autre contributeur important du goût du pain : la fermentation à partir des levures et levains (qui contiennent un mélange de levures et de bactéries). Ils permettent d’apporter une signature aromatique unique et de développer un goût personnalisé et raffiné.
Les levures génèrent en effet huit familles de notes aromatiques au cours de la fermentation : des cétones (donnant des notes de beurre et de caramel), des esters (notes fruitées, épicées, végétales), des alcools (fleur, rose), des terpènes (blé mûr, boisé, épicé), etc… En outre, les levures véhiculent leur goût propre, discernable à partir d’une certaine dose selon le type de levure utilisé. Pour éviter ce goût caractéistique qui est parfois peu apprécié, il est possible d’incorporer une dose de levures ajustée pour une fermentation optimale, et de jouer sur la durée de fermentation (INBP, 2003).
Les pains au levain développent quant à eux une saveur acidulée typique mêlée à des notes fruitées (Figure 2), due en partie à l’action des bactéries lactiques (voir encadré ci-dessous).
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5) Autres ingrédients
Les recettes des produits de panification peuvent intégrer d’autres ingrédients, tels que le sucre et les matières grasses, dont les qualités et quantités vont influencer le goût du produit fini (pain de mie, brioche, pâte feuilletée, etc.) mais aussi son moelleux. Les sucres augmentent la tendreté et l’humidité de la mie, tandis que les matières grasses jouent sur le fondant. Les sucres sont le plus souvent apportés sous forme de saccharose, de glucose, mais le malt non diastasique peut également être considéré comme un sucre. Pour le saccharose, le seul apport organoleptique concerne le goût sucré, dont l’intensité est directement liée à la quantité ajoutée. En revanche, le malt véhicule un ensemble de composés issus de la germination des céréales et du procédé de séchage (acides aminés, peptides, sucres simples, maltodextrines, composés aromatiques, etc.). En fonction de la nature du malt, son ajout peut donc influer sur le goût sucré mais aussi modifier le profil aromatique du produit. Les matières grasses vont avoir leur importance dans les produits plaisir de type viennoiserie, où leur taux d’incorporation peut atteindre 30 %. Le choix du type de matière grasse, qu’elle soit fluide (huiles de colza, d’olive, de tournesol…) ou concrète (beurre, palme, coprah…), variable selon les pays (notes de beurre en France, de matières grasses en Argentine, etc.), impactera directement le goût et la texture du produit fini. Les matières grasses peuvent également jouer le rôle de support d’arômes.
Le rôle du process
Selon Henri Nuret, spécialiste des blés et des farines à l’Ecole de meunerie française, la qualité du pain dépendrait du meunier pour 10 %, du blé pour 15 % et du boulanger pour 75 % (Lesaffre, 2009). C’est dire l’importance des méthodes de panification… Leur croisement offre en effet un nombre considérable de possibilités avec, à chaque fois, un goût particulier, fruit de l’équilibre des arômes et de la structure de la mie. C’est tout au long du process de panification que vont se former ou se transformer les différents composés aromatiques (Figure 3).
1)Le pétrissage
Le pétrissage assure le mélange et l’hydratation des ingrédients. Il est aussi le garant de la formation du réseau de gluten, dont l’architecture dépendra du tour de main du boulanger ou du réglage du pétrin mécanique. On distingue trois modes de pétrissage (INBP, 2003).
Le pétrissage à vitesse lente repose sur un traitement mécanique modéré qui permet à la pâte de se former lentement. Peu d’air est incorporé, il y a donc peu d’oxydation, ce qui préserve les molécules aromatiques de la farine. Une fermentation longue, avec une faible dose de levure, permet ensuite le développement complet de la pâte et du goût du pain. Le pétrissage intensif, apparu dans les années 1950-1960, se caractérise par une durée et une vitesse de pétrissage deux fois supérieures à celles du pétrissage lent, ce qui représente quatre fois plus d’énergie apportée. Cette technique permet de produire un pain blanc (oxydation forte) avec beaucoup de volume (importante incorporation d’air), mais un profil aromatique pauvre. En outre, un pétrissage trop intense peut conduire à la formation en grande quantité d’hydroperoxydes, tels que d’hexanal, par oxydation des pré-curseurs aromatiques. Le faible goût des pains fabriqués avec un pétrissage intensif nécessite l’ajout d’une plus forte dose de sel, qui doit être compensée par une quantité plus élevée de levure, le sel freinant la fermentation et le temps du pointage (première fermentation) étant réduit au minimum.
Le pétrissage amélioré constitue un compromis entre les deux méthodes précédentes. Il permet d’obtenir un pain correctement développé et ayant du goût et une meilleure conservation. Le principe : pétrir à une vitesse légèrement plus élevée mais sur une durée plus courte, plutôt qu’à une vitesse plus lente mais sur une plus longue durée. L’ajustement des paramètres de vitesse et de durée dépend de la farine et de l’hydratation, l’important étant d’arrêter le pétrissage avant le blanchiment de la pâte. Pour obtenir un pain fort en goût, il est conseillé de réduire le temps de pétrissage et de compenser le manque de développement du réseau glutineux par une augmentation du temps de pointage. Résultat : une faible oxydation et beaucoup d’arômes issus de la fermentation.
2) La fermentation
La fermentation est à l’évidence le deuxième grand facteur influençant le goût du pain au cours du process. Ce sont les réactions de fermentation qui produisent les arômes spécifiques de la mie et lui confère sa structure alvéolaire via le dégagement de gaz carbonique. Il s’agit d’une fermentation en présence de levures qui va dégrader les sucres préexistants dans la farine et une toute petite partie de l’amidon.
De nombreux paramètres peuvent influer sur la formation des composés aromatiques au cours de cette étape : la nature et la quantité de ferment, la température du milieu, la durée de la fermentation et l’apport d’ingrédients divers. En panification, la fermentation se déroule en deux temps (on parle aussi de fermentation no time). La première fermentation, appelée pointage, se déroule de la fin du pétrissage au façonnage des pâtons. Elle va donner au pain l’essentiel de son goût, de son alvéolage et du croustillant de sa croûte. Il existe des modes de pointage différés (la pousse lente, le poussé-bloqué et le pointage retardé en bac) et il est aussi possible de jouer sur la température et la durée de cette première fermentation, afin d’influer sur ces caractéristiques. La seconde fermentation, appelée apprêt, se déroule entre le façonnage et la cuisson. Elle per-met essentiellement la levée du pâton. En général, plus le temps de pointage est long, plus le temps d’apprêt est court. Par ailleurs, il existe deux catégories de fermentation : sur levain et sur levure. Lors de la fermentation sur levain, le développement des levures et bactéries naturellement présentes dans la farine et dans l’atmosphère est favorisé pour une fermentation naturelle de la pâte.
La présence d’acides lactique et acétique, produits par les bactéries, donne aux pains au levain des notes acides et fruitées. La fermentation sur levure, quant à elle, est assurée uniquement par Saccharomyces cerevisiae . Cette souche offre une parfaite reproductibilité d’une pétrissée à l’autre et donne aux pains des notes de fermentation en préservant les notes céréalières. On peut toutefois obtenir des pains ayant des caractéristiques organoleptiques très différentes en fonction de la technique de fermentation sur levure utilisée (voir Encadré ci-dessus). Ainsi, si l’on recherche un pain naturel et à la saveur d’antan mais pas trop typé en termes d’acidité, on pourra privilégier une fermentation lente sur levain ou un travail sur pâte fermentée (INBP, 2003). Le type de fermentation choisie est donc déterminant en termes de profil et d’équilibre aromatiques, mais aussi d’alvéolage et de couleur de mie. (Figure 4).
3)Le façonnage
Le façonnage, c’est-à-dire l’étape de mise en forme des pâtons, n’influe pas directe-ment sur le goût du pain, mais conditionne la structure qui interagit avec les arômes .
4) La cuisson
La cuisson contribue grandement à la formation du goût du pain. Bien menée, elle permet aux alvéoles de la mie de se déployer, à la croûte de se former et de se teinter, et aux arômes de se révéler. Le goût de la croûte va être généré par des réac-tions de caramélisation, qui donneront des furanes, et des réactions de brunis-sement non enzymatiques. Ces dernières sont appelées réactions de Maillard et font intervenir des sucres simples et des acides aminés pour donner des molécules colorées et aromatiques attendues. Il s’agit de com-posés hétérocycliques azotés volatils, tels que les pyrazines, qui apportent les notes grillées et torréfiées de la croûte. Cependant, un composé toxique, l’acrylamide, se forme également à partir de ces mêmes réactions de Maillard Tout l’art du boulanger sera donc de trouver les para-mètres de cuisson idéaux permettant de révéler les arômes d’intérêt.
5)La surgélation
Les études ayant analysé l’effet de la surgélation sur les qualités physiques et sensorielles des pains crus ou pré-cuits montrent un effet négatif de cette technique. La surgélation endommage en effet le réseau glutineux, compromet l’activité fermentaire des levures et entraîne des pertes d’arômes volatils. De fait, elle peut réduire le goût et l’odeur du pain, ainsi que le développement de la pâte, et peut entraîner un rassissement plus rapide.
Conclusion
Grâce à une offre diversifiée, le pain est devenu un aliment de caractère qui se déguste. Le goût du pain se trouve de fait au cœur des préoccupations de tout boulanger qui souhaite contenter un consommateur de plus en plus averti et exigeant. Pour répondre aux différentes problématiques rencontrées par les professionnels, Lesaffre dispose à la fois des connaissances relatives à la création du goût en panification et à la maîtrise des méthodes d’évaluation de ce critère essentiel de choix. Les solutions techniques et les ingrédients fonctionnels proposés au service du goût ne manquent pas, des starters pour levain aux levains prêts à l’emploi, en passant par les enzymes, les malts et autres produits aromatiques. Quant à la maîtrise de l’analyse sensorielle, elle se révèle centrale, non seulement pour aider les boulangers à définir les attentes des consommateurs (en termes de textures, d’arômes, de couleurs), mais aussi pour les traduire et les mettre en œuvre de façon opérationnelle dans le process de panification. L’expertise développée par Lesaffre dans ces domaines permet d’accompagner les professionnels de la boulangerie dans l’obtention de produits au goût sur mesure, qui se réinventent à l’infini au gré des saisons et des envies des consommateurs.