Les levures boulangères

Les levures boulangères

Diversité des recettes, évolution des technologies boulangères, nouvelles exigences industrielles et économiques : les nouvelles souches de levures de boulangerie s’adaptent aux évolutions des process de production (pousse lente, différée, résistance aux conservateurs…). Ainsi, certaines recettes mettent en œuvre d’importantes quantités de sucre ou de sel, ou incorporent des acides organiques destinés à allonger la durée de conservation, dont les effets se révèlent délétères (pression osmotique élevée, pH acide) pour l’activité fermentaire de la levure. En parallèle, le process impose aux microorganismes de résister à des variations de températures (réfrigération, surgélation, etc.) et de pH (panification au levain) notamment. Pour permettre aux boulangers de disposer de levures résistantes à ces contraintes, des souches spécifiques de S. cerevisiae ont été sélectionnées pour pâtes non sucrées, pâtes très sucrées, tolérantes au proprionate, tolérantes à la surgélation, adaptées au froid positif… voire des souches combinant plusieurs de ces critères.

Lors de la panification, les levures de boulangerie sont exposées à de nombreuses agressions environnementales. Ces organismes unicellulaires ont développé un large éventail de réponses afin de lutter contre ces multiples agressions, qu’il s’agisse de la pression osmotique, de la chaleur, du froid, de l’oxydation, du manque de substrat, du pH et des solvants organiques (dont l’éthanol). De manière schématiques, ces stress s’avèrent liés soit à la recette (richesse en sucre, en sel de la pâte, etc.), soit au process (température, pH, etc.).

 

1. Influence de la recette sur le métabolisme des levures

La pâte à pain est une matrice complexe, contenant de nombreux ingrédients qui peuvent affecter l’activité fermentaire de  la levure.

1.1. Influence de la pression osmotique

 

1.1.1. Les sucres
Premier facteur d’importance pour le métabolisme la levure, la disponibilité en substrat. Si le glucose représente le substrat de prédilection de la levure, S. cerevisiae est également capable d’utiliser :
• d’autres monosaccharides (fructose, galactose, mannose…) transportés à l’intérieur de la cellule par diffusion facilitée ;
• des disaccharides (saccharose et maltose) qui sont soit hydrolysés en deux monosaccharides par une enzyme extra-cellulaire ; soit transportés par des protéines spécifiques (maltoperméases) à l’intérieur de la cellule où ils subiront une hydrolyse intra-cellulaire (Figure 1).

La quantité de sucres fermentescibles disponibles dans la pâte varie en fonction :
• de la concentration en glucides complexes de la farine et de l’activité des enzymes qui dégradent ces glucides en sucres fermentescibles (Struyf, 2017) ;
• de la teneur en sucres ajoutés.

Or, si le substrat est indispensable à la levure, des concentrations trop élevées peuvent pénaliser son activité. Selon la loi de Van’t Hoff (voir encadré), la pression osmotique est proportionnelle à la masse de soluté par unité de volume et inversement proportionnelle à la masse molaire du soluté. Ainsi,
• plus la quantité de sucre présente dans la pâte est élevée, plus la pression osmotique augmente ;
• pour une même masse de sucre mise en jeu, plus la masse molaire du sucre sera faible, plus la pression osmotique engendrée sera élevée. Ainsi, 1 gramme de glucose (C6H12O6 : 180,56 g/mol) génère une pression osmotique quasiment double de celle induite par 1 gramme de saccharose (C12H22O11 : 342,3 g/mol) ;
• lorsque qu’une molécule de saccharose est hydrolysée en glucose et fructose, la pression osmotique de la pâte double.

Les cellules de levure utilisées pour la panification doivent s’adapter aux concentrations de sucres au cours des processus de fermentation de la pâte. En particulier, dans les pâtes sucrées qui contiennent jusqu’à 30 % de saccharose (le « sucre » du commerce), les levures subissent un stress osmotique (fuite d’eau vers le milieu le plus concentré en solutés -la pâte) qui endommage leurs composants cellulaires et inhibent leur capacité de fermentation (Verstrepen et al., 2004). En réponse à la pression osmotique générée par ce milieu très riche en sucres, la cellule va temporairement arrêter sa croissance et sa multiplication et mettre en place des mécanismes de défense, reposant notamment sur l’accumulation de différents métabolites (glycérol, tréhalose, proline) afin d’augmenter sa pression osmotique interne et d’ainsi réduire le différentiel avec le milieu extérieur.

 

 

 

 

1.1.2. Sel
Le sel, généralement mis en œuvre à des taux de 1 à 2 % du poids de la farine en panification (Lesaffre Technical Library 1278. Réduction du sel en panification), induit une augmentation de la pression osmotique et l’accumulation d’ions (Na+et Cl-), réduisant la viabilité des levures, leur activité fermentaire et la production de CO2.

L’effet du sel sur la pression osmotique s’avère plus fort que celui du sucre : la masse molaire du sel (NaCl 58,4 g/mol) étant trois fois plus faible que celle du glucose (C6H12O6 : 180,56 g/mol), la pression engendrée par 1 gramme de sel s’avère trois fois supérieure à celle générée par 1 gramme de glucose.

Placées dans un milieu de pression osmotique trop élevée (pâte très salée), les levures vont presque immédiatement voir l’eau de leur cytoplasme fuir dans la pâte, et leur volume cellulaire se réduire en conséquence (Morris et al., 1983). La réponse de la levure à ce milieu hypersodé est comparable à celle mise en place dans un milieu très riche en sucre et passe notamment par l’accumulation de différents métabolites (glycérol, tréhalose, proline) : fermeture des canaux à glycérol, activation du métabolisme du glycérol et accumulation de glycérol à des concentrations 2 à 30 fois plus élevées selon la souche et le degré de stress osmotique (Struyf, 2017 ; Dawes, 2005).

Malgré ces mécanismes de défense, les levures perdent 50 à 75 % de leur viabilité lorsqu’elles sont placées dans des solutions de 0,6 à 2,5 mol/L de NaCl (Morris et al., 1983). Avec à la clé un moindre dégagement gazeux et donc une perte de volume (Figure 2).

1.2. Influence des acides organiques

 

Les levures affectionnent en général un substrat légèrement acide avec un pH compris entre 4,5 et 5,5. Cependant, elles montrent une importante capacité d’adaptation et peuvent croître à des pH compris entre 3 et 8. Leur tolérance demeure néanmoins dépendante des acides utilisés, et plus précisément de leur constante de dissociation acide mesurée par le pKa : plus le pKa est élevé, plus la dissociation de l’espèce acide à pH donné est faible, et donc plus l’acide est faible (Figure 3). Or, les formes indissociées des acides sont toxiques pour les levures :
elles se dissocient à pH neutre après pénétration dans le cytoplasme (libérant des protons H+ et des anions acides), alors qu’elles demeuraient indissociées dans le milieu acide extérieur.

Les acides organiques, qui inhibent la croissance de nombreux microorganismes, sont largement utilisés dans la production industrielle d’aliments et de boissons. En panification, les acides acétiques et/ou propioniques permettent par exemple d’allonger la durée de conservation des pains de mie en évitant le développement de moisissures. Après pénétration dans la cellule, ces acides exercent des effets délétères : action mutagène ; accumulation dans le cytoplasme de la levure de protons H+ et d’anions acides ; inhibitions métaboliques.

Plusieurs mécanismes de protection ont été évoqués, qui diffèrent selon l’acide ajouté au milieu (Piper, 2011 ; Semchyshyn et al. 2011) (Figure 4) :
• augmentation du nombre de pompes actives à protons, permettant d’exporter les ions H+ ;
• fermeture des canaux de diffusion passive d’acétate pour empêcher l’acide de pénétrer dans la levure ;
• remodelage de la paroi cellulaire, diminuant la porosité de la paroi cellulaire ;
• multiplication des transporteurs membranaires Pdr12, permettant d’exporter les acides carboxyliques hors de la levure ;
• production d’esters permettant de détoxifier les acides ;
• mécanismes de lutte contre l’oxydation ; etc.

Les souches résistantes aux acides proposées par Lesaffre ont été développées soit via le schéma fermentaire (résistance acquise par ajout de quantités croissantes d’acides lors du process de fabrication), soit par mutagenèse (résistance intrinsèque à la souche).

      

1.3. Influence d’autres nutriments de la levure

 

1.3.1. Minéraux, vitamines
L’apport en certains nutriments (Mg2+, K+, Ca2+ et Zn2+) peut améliorer l’activité fermentaire et la viabilité des levures : un ratio élevé Mg2+/Ca2+ permet d’optimiser la fermentation (Struyf, 2017). Les vitamines constituent également des facteurs de croissance : ainsi, la biotine est une vitamine essentielle pour les levures car elle est impliquée dans de nombreuses réactions enzymatiques alors que les levures ne peuvent la fabriquer.

Le rôle des vitamines et minéraux dans la fermentation panaire demeure néanmoins peu étudié.

1.3.2. Sources d’azote
S. cerevisiae ne peut fixer l’azote atmosphérique et a besoin d’azote organique (acides aminés) ou inorganiques (sels d’azote). Des acides aminés sont généralement présents dans la pâte. Une fermentation à la levure uniquement réduit leur concentration, tandis que l’utilisation de levains augmente leur concentration du fait des réactions de protéolyse.

Les levures convertissent certains acides aminés en composés d’intérêts : isomère de la mélatonine dont l’activité anti-oxydante et cytoprotectrice accroît la qualité du produit fini ; composés aromatiques qui améliorent le profil du pain (Struyf, 2017).

1.3.3. Fibres
Le degré d’extraction des farines influence la fermentation. Notamment, les farines complètes contiennent des niveaux plus élevés de sucres, en particulier de saccharose et fructanes, améliorant le rendement des premières étapes de fermentation. Elles présentent en outre des niveaux plus élevés en α-amylases, permettant la libération de maltose durant la fermentation (Struyf, 2017). Enfin, les farines complètes comportent davantage de vitamines et minéraux dont la disponibilité peut néanmoins être limitée par la présence de phytates : en effet, ces acides organiques créent des complexes avec le fer, le magnésium, le calcium, le zinc…, empêchant leur absorption intestinale (Lesaffre Technical Libray 1329. Valeur nutritionnelle des pains).

2. Influence du process sur le métabolisme des levures

 

2.1. Température

 

2.1.1 Hausse de température
La fermentation panaire se déroule en général entre 25 °C et 32 °C (Cauvain, 2007), plage de température idéale pour la croissance des levures. La destruction cellulaire des levures non thermorésistantes commence dès 52 °C. Mais comme tout micro-organisme, les levures présentent une large diversité et des températures optimales variables selon les souches (levures psychrophiles, mésophiles et thermophiles). En cas de hausse de la température (par exemple de 23°C à 37°C), S. cerevisiae stoppe sa multiplication asexuée et accroît sa thermotolérance. Puis les cellules récupèrent, reprennent leur croissance malgré la température plus élevée (Dawes, 2005). Plusieurs mécanismes ont été suggérés pour expliquer cette thermotolérance.

Ainsi, en cas de choc thermique, on observe l’arrêt rapide de la synthèse de la plupart des protéines cellulaires. Des protéines spécifiques sont produites : certaines sont les homologues des protéines produites en situation normale et vont donc assurer leurs fonctions cellulaires à leur place ; d’autres sont impliquées dans la dégradation ou la réactivation des protéines endommagées par la température. L’activation d’une enzyme, la tréhalose synthase, induit la production de tréhalose, un disaccharide protégeant de la chaleur, de la dessiccation et du gel (Wiemken, 1990). Enfin, la production décuplée de sphingolipides membranaires dans les 15 minutes suivant le stress thermique améliorerait la tolérance de la membrane à la chaleur et pourrait jouer un rôle de signal (Dawes, 2005). Les levures déjà en phase stationnaire (du fait d’un autre stress par exemple) s’avèreront plus résistantes à la température que les cellules en phase de multiplication (Dawes, 2005).

2.1.2. Baisse de température (gel et décongélation)
Lors de la surgélation, les cellules de levures peuvent être endommagées par la formation de cristaux de glace et la déshydratation. La vitesse de surgélation représente un paramètre déterminant quant aux dommages subis par les cellules : à des vitesses élevées, se produit une surgélation principalement intra-cellulaire induisant des dommages liés à la formation de cristaux de glace ; à des vitesses faibles (- de 7°C par minute), la  glace extra-cellulaire prédomine impliquant une concentration supérieure du milieu extra-cellulaire en solutés, et donc ne déshydratation intracellulaire, l’eau fuyant de la cellule vers la pâte (Lesaffre Technical Library 1305. Maîtriser la panification en cru surgelé).

Durant les cycles de surgélation-décongélation, la levure subit aussi des stress chimiques (dommages oxydatifs par exemple). Un stress préalable, qui induit une pause dans le développement des levures, permet de réduire les dommages liés au froid.

2.2. Variations de pH

 

Comme déjà mentionné dans le paragraphe dédié à l’influence des acides organiques, les levures affectionnent en général un substrat légèrement acide avec un pH compris entre 4,5 et 5,5, même si elles peuvent
croître à des pH compris entre 3 et 8. Lors d’une panification au levain, un écosystème comprenant à la fois des levures et des bactéries est mis en jeu. Si la flore microbiologique initialement présente dans la pâte qui formera le levain compte des dizaines d’espèces différentes, seules quelques espèces de micro-organismes seront présentes au bout de quelques rafraîchis.

Outre la disparition de certaines espèces de levures, on observe une faible multiplication des souches toujours présentes. En effet, la chute de pH liée à la production par les bactéries d’acide acétique (et dans une moindre mesure d’acide lactique) inhibe fortement la croissance des levures (Huys et al. 2013). Ainsi, dans les levains très acides tels que ceux préparés pour la panification du seigle, le nombre de cellules de levures est très limité par rapport au nombre de bactéries. En revanche, les populations levuriennes se révèlent plus conséquentes dans les levains moins acides, ce qui leur confère un pouvoir levant, en plus de leur caractère acidifiant, lié aux bactéries.

2.3. Oxydation

 

Si la levure est capable de respirer en présence d’oxygène, ce métabolisme aérobie génère des composés oxydatifs (les radicaux libres) qui peuvent réagir et affecter de nombreux composants de la cellule, comme l’ADN (mutagénèse, carcinogénèse), les protéines (protéolyse et lésions) ou les lipides (peroxydation) (Dawes, 2005). En réponse au stress oxydatif, la levure arrête temporairement ses cycles de division cellulaire, et active des systèmes conduisant à une réponse adaptative afin que la cellule devienne plus résistante aux dommages ultérieurs, via notamment la production (Dawes, 2005) :
• de gluthation impliqué dans l’homéostasie redox,
• de co-enzyme Q limitant la peroxydation des lipides,
• d’anti-oxydants (par ex : acide érytroascorbique, proche de la vitamine C),
• d’enzymes : superoxydes dismutases protégeant les mitochondries des dommages oxydatifs ; catalases transformant les péroxydes en eau et oxygène ; peroxydases (glutathion peroxydase, thioredoxine peroxydase…) limitant les peroxydes lipidiques…

La production de ces métabolites lors d’un stress oxydatif peut affecter la panification : ainsi par exemple, les anti-oxydants, comme l’acide érytroascorbique, affectent le temps de pétrissage et le volume.

« En réponse au stress oxydatif, la levure active des systèmes de défense. »

 

3. Des souches adaptées à toutes les panifications

La réponse des levures à différents stress sollicite le potentiel génétique de la cellule via des mécanismes complexes. Aujourd’hui les biotechnologies ont permis une compréhension détaillée des gènes impliqués, des mécanismes sous-tendant leur activation en réponse à différentes formes de stress, etc. Ces connaissances permettent ainsi de sélectionner les levures les plus adaptées à l’application boulangère qui en sera faite (froid, pâtes sucrées…) (Lesaffre Technical Library 1299. Génétique et métabolisme des levures).

3.1. Adapter le métabolisme des levures aux contraintes des recettes

 

3.1.1 Levures maltose+ pour pâtes non sucrées
Dans les pâtes non sucrées, les hexoses sont rapidement dégradés laissant le maltose comme seul substrat pour les étapes suivantes de la fermentation. Pour éviter un arrêt de la fermentation le temps que les levures adaptent leur processus fermentaire au nouveau substrat, des levures  capables de rapidement consommer le maltose ont été sélectionnées. Une mutation naturelle de leur génome au niveau des gènes MAL leur confère des niveaux basaux élevés d’expression de la maltase et de la maltoperméase, leur permettant de fermenter le maltose après une période très courte d’adaptation (Needleman, 1991). Ainsi, les levures maltose+ sont particulièrement adaptées aux pâtes peu sucrées.

3.1.2. Levures osmo-tolérantes pour pâtes sucrées
Dans les pâtes sucrées, jusqu’à 30 % de sucre peut être mis en œuvre, induisant une pression osmotique élevée. L’activité fermentaire des levures peut alors être affectée. Pour compenser, certains boulangers surdosent la levure standard dans les pâtes sucrées ; mais cela confère au produit fini des notes très fermentées. D’où l’intérêt d’une solution alternative : la levure dite osmotolérante.

La levure osmotolérante contient des souches de levures capables de supporter les pressions osmotiques élevées découlant de l’addition de sucres (essentiellement du saccharose). Celles-ci se caractérisent par des niveaux plus faibles d’invertase (Reed, 2012), ou des productions accrues de glycérol (Aslankooho, 2015) ou de tréhalose, qui augmentent la pression osmotique interne de la levure et réduisent sa déshydratation.

Ces souches présentent néanmoins des inconvénients : la réduction de la teneur en sucres réducteurs (glucose, fructose) dans le milieu peut être responsable de problèmes de coloration. C’est la raison pour laquelle certaines recettes prévoient l’ajout de lactose (ou d’autres sucres) pour initier les réactions de Maillard et la coloration extérieure du produit. Ont également été développées des souches possédant une activité invertasique intermédiaire, pour offrir au boulanger un compromis idéal entre pression osmotique et coloration.

3.1.3. Levures tolérantes au propionate et aux acides carboxyliques
Les acides, agents anti-moisissures ajoutés pour améliorer la conservation des pains pré-emballés, ont comme effet secondaire de freiner la fermentation par les levures.

Des schémas de fermentation ont été développés afin d’obtenir des souches plus résistantes aux acides : celles-ci sont relativement dépourvues d’une protéine membranaire appelée aquaglycéroporine qui facilite l’entrée passive par simple diffusion des acides indissociés (Piper, 2011), protégeant ainsi les levures de leurs effets. De la même manière, des levures tolérantes aux acides carboxyliques (acétate, sorbate, benzoate) ont été développées : celles-ci expriment rapidement le facteur de transcription WAR1p (Weak Acid Resistance), un régulateur positif de l’expression de Pdr12, permettant la démultiplicationdes transporteurs membranaires Pdr12 et ainsi l’exportation active des acides hors du cytoplasme de la cellule. A l’inverse, les levures dépourvues de War1p sont hypersensibles aux acides faibles, puisqu’elles ne parviennent pas à induire Pdr12p (kren et al. 2003).

3.2. Adapter le métabolisme des levures aux contraintes des process

 

3.2.1. Levures tolérantes à la surgélation
Le stockage durant de longues périodes à des températures inférieures à 0°C induit souvent un manque de levée de la pâte, en raison notamment d’une chute de la viabilité des levures, qui affecte largement la qualité finale du produit (Struyf, 2017). Les effets délétères de la surgélation sur l’activité des levures sont encore plus lourds dans les pâtes sucrées, puisque la surgélation et la décongélation réduisent davantage encore la disponibilité de l’eau, déjà limitée par la présence de sucre (Struyf, 2017).

Des souches de levures qui tolèrent la surgélation ont donc été sélectionnées sur la base de plusieurs critères, parmi lesquels : leur capacité à accumuler des osmolytes, comme la proline et tréhalose, qui augmentent l’osmotolérance et la cryotolérance ; la composition lipidique de la membrane dont dépendrait la survie de la levure au froid ; ou encore le métabolisme respiratoire.

Ainsi, les souches de levures dépourvues de tréhalase (enzyme qui détruit le tréhalose) se montrent plus tolérantes à la surgélation. De même, les souches caractérisées par une concentration intracellulaire supérieure en proline semblent mieux résister au froid et à la dessication (Takagi, 2000).

Enfin, aussi tolérante soit-elle à la surgélation, la levure reste un organisme vivant qui sera fragilisé par les traitements thermiques appliqués lors de son conditionnement : les levures sèches sont à éviter pour des applications en cru surgelé ; la levure fraîche ou la levure sèche à humidité intermédiaire (LHIS) dont le séchage optimisé préserve la qualité des membranes, doivent être privilégiées. En outre, une fermentation trop avancée de la pâte avant la surgélation est à éviter car la levure aura consommé une partie des osmolytes qui la protégeait du froid et présentera des cicatrices consécutives au bourgeonnement qui sont autant de zones de faiblesse (Lesaffre Technical Library 1305. Maîtriser la panification en cru surgelé).

3.2.2. Levures ralenties à la réfrigération
Les pâtes réfrigérées sont des pâtes conservées plusieurs heures en froid positif, c’est-à-dire à des températures comprises entre 0 °C et 10 °C, afin d’offrir plus de souplesse aux boulangers. La fermentation reste néanmoins difficile à contrôler car les levures et enzymes, bien que ralenties, demeurent métaboliquement actives : les levures boulangères continuent de produire du CO2 durant leur stockage à 5-8°C, affectant les qualités organoleptiques et rhéologiques de la pâte et la qualité des produits finaux (Struyf, 2017). D’où un risque de sur-fermentation des pâtes après des temps de stockage importants avec comme corollaires :  une prise de volume durant le stockage ; une pâte collante difficile à remettre en œuvre ; un manque de volume du produit final ; une couleur sombre de la croûte ; un risque de cloques et de perte de poids…

Pour limiter au maximum l’activité fermentaire des levures, une levure boulangère spécifique de type Saccharomyces cerevisiæ a été sélectionnée : elle se distingue par un métabolisme particulier issu du gène CSF1. Elle régule sa croissance et sa capacité fermentaire à basse température, sans doute via la modulation du transport de nutriments. Dans un environnement contrôlé à moins de 10°C, cette levure spécifique exprime une activité fermentaire réduite de moitié par rapport à une levure conventionnelle. Après une remontée de température dans des conditions classiques de panification (25-30°C), la reprise de son activité fermentaire est identique à celle de la levure conventionnelle.

3.2.3. Levures maltose-négatives pour les pâtes tempérées
Certains process de panification impliquent le stockage, sur plusieurs heures, de pâtons pré-poussés à température ambiante (10-25°C). Une levure classique, dans ces conditions, conduirait à des problèmes d’excès de pousse.

Pour répondre à ces situations, des levures spécifiquement adaptées ont été sélectionnées, à savoir des souches dont l’activité est limitée par le substrat : les levures  « maltose-négatives » ne peuvent pas utiliser le maltose comme substrat et consomment uniquement des substrats plus contrôlables et limitants comme le saccharose et les fructanes, dont les concentrations dans la pâte sont plus stables que celles du maltose. Les produit de panification réalisés avec des souches maltose-négatives peuvent être stockées en froid positif, et même jusqu’à 25°C(température ambiante), pendant une plus longue période sans risque de production excessive de CO2 (Struyf, 2017).

3.3. Combiner des caractères d’intérêt

Parce que les boulangers ont besoin que les levures répondent à la fois aux contraintes de leurs recettes et à celles du process, des stratégies de sélection sont mises en œuvre pour combiner les caractères recherchés, afin de permettre aux levures de fermenter de manière optimale dans différents types de pâtes, et selon différents process (Figure 5)

 

Les biotechnologies et le décryptage du génome de la levure ont permis d’améliorer les connaissances des complexes mécanismes mis en jeu par ces organismes et notamment S. cerevisiae pour s’adapter aux stress subis au cours de la panification, qu’ils découlent de la recette ou du process choisis. Depuis plus de 150 ans, un large éventail de levures permettant de répondre aux différentes situations auxquelles doivent faire face les boulangers a ainsi pu être progressivement collecté aux quatre coins du monde par Lesaffre. Aujourd’hui, le levurier dispose d’une très importante collection de souches et donc d’un stock de ressources génétiques nécessaires pour créer, par des techniques conventionnelles et grâce à sa maîtrise des schémas de fermentation, les levures de demain, adaptées à toutes les attentes des boulangers. L’expertise développée par Lesaffre lui permet de multiplier et de conditionner la souche voulue dans des conditions optimales pour ne pas brider leur potentiel (substrat, choix de la phase de récolte, etc.). Tout l’intérêt de ces souches pour le boulanger repose sur leur capacité à s’adapter rapidement au milieu (pression osmotique liée au sucre ou au sel, froid, chaud, acide…), que ce soit en termes de réactivité ou de viabilité. A défaut d’utiliser des souches adaptées, le boulanger s’expose à une mortalité élevée de sa levure, qui ralentirait la fermentation et augmenterait la quantité de composés relargués par les levures mortes : cystéine, glutathion réduit (GSH), et peptides riches en cystéine qui peuvent affecter le réseau de gluten et compromettre la prise de volume.