Pourquoi appeler « levure chimique » un ingrédient qui ne contient pas de levure ?

Pourquoi appeler « levure chimique » un ingrédient qui ne contient pas de levure ?

Assurément, l’expression ne convient pas pour désigner la « poudre à lever » utilisée pour teaux et pâtisseries. Encore moins lorsqu’on l’emploie comme synonyme de « levure industrielle », en ciblant cette fois la culture de la levure de boulangerie. Entre abus de langage et connotation injustifiée, le point sur une appellation qui sème la confusion parmi les consommateurs, mais aussi les boulangers.

Quelle cuisine n’a pas dans ses placards ce petit sachet rempli de poudre blanche, que l’on incorpore aux prépa- rations de gâteaux et biscuits pour les faire gonfler ? Le geste est utile : à la sortie du four, le cake ou la fournée de madeleines ont pris de belles rondeurs… sans l’in- tervention de micro-organismes de type Saccharomyces Cerevisiae. On l’avouera : difficile d’appeler « levure » un ingrédient qui ne doit rien au mécanisme de la fermentation. Que contient donc la poudre à lever, improprement appelée « levure chimique » ?

La « poudre à lever » se compose en général d’un agent basique (bicarbonate de sodium), d’un agent acide (acide tartrique, pyrophosphate de sodium) et d’un agent stabilisant (amidon). Lorsqu’il est humidifié, l’ingrédient dégage du gaz carbonique : simple réaction chimique  « acide-base » qui se développe à l’intérieur du four, sans autre apport qu’un gain de volume.

« Comme la levure de boulangerie, la poudre à lever permet d’obtenir un dégagement rapide et instantané dans la pâte, confirme Stéphane Lacroix, directeur commercial Lesaffre France. À ceci près que la levure de boulangerie vivante ne contient que des micro-organismes, dont l’action naturelle débute dès l’incorporation dans le pétrin et se poursuit jusqu’en début de cuisson. Avec des bénéfices sur la prise de force de la pâte, la composition aromatique, la texture de la mie ou la coloration de la croûte, etc. »

Une simple histoire de mots ? Pas seulement, car l’expression « levure chimique » prête à confusion sur un autre plan, renchérit Stéphane Lacroix : « On entend encore des professionnels employer les termes « levure chimique » pour parler de la « levure industrielle de boulangerie ». Oui, les levures Lesaffre sont des produits industriels, au sens où nous les cultivons et les récoltons à grande échelle. Mais nous le faisons selon des procédés entièrement naturels, avec les plus strictes conditions d’hygiène et de sécurité alimentaire, dans le respect de l’environnement. Pour ce faire, nous travaillons à partir de souches de levures sélectionnées, domestiquées et croisées sans que cela n’en- lève rien à leur naturalité… Dans la culture des blés, c’est exactement la même démarche et cela ne gêne personne ! ».

Plaidoyer pour une appellation différenciée

Levure chimique… en France, l’expression fait depuis longtemps grincer des dents la Chambre syndicale des fabricants de levure (CSFL). D’au- tant qu’ailleurs, la confusion n’existe pas entre les deux produits : dans les pays anglo-saxons, la levure se dit yeast et la poudre à lever baking powder. « Il y a une vingtaine d’années, ajoute Stéphane Lacroix, nous sommes intervenus sur la définition de la levure donnée par le Larousse, qui employait à tort les termes « levure chimique ». Depuis, le dictionnaire fait clairement la distinction avec la levure de boulangerie. » Un exemple parmi d’autres de la croisade entamée par la CSFL pour mettre fin à cette appellation, source de trop de malentendus. L’objectif, désormais : investir le terrain juridique pour que la mention « levure chimique » soit abandonnée sur les emballages de poudre à lever. À l’exemple de l’Espagne, qui vient officiellement de bannir cette expression, jugée préjudiciable à la levure de boulangerie. Quand le bon sens fait jurisprudence. « Le nom de « levure » a été donné à l’époque à cette poudre à lever pour contrebalancer le mot « chimique » qui aurait pu générer de la méfiance quand il est apparu au début du XXe siècle. Il était important de ne pas choquer les utilisateurs de cette poudre à lever. Dans « levure chimique », on ne retient que « levure » dont on comprend le sens » conclut Stéphane Lacroix.

 

La levure de boulangerie véhicule souvent une image d’un produit industriel, ce qui la dessert. Elle est fréquemment opposée au levain alors que levure et levain sont, au contraire, complémentaires. Le levain est emblématique du savoir-faire artisanal :  » un secret de fabrication » concocté dans le fournil avec une valeur quasi patrimoniale, opposé à la levure issue de cultures industrielles. L’époque où les boulangers fabriquaient du pain à mie blanche, volumineux, sur filet, sans saveur et fermenté à la va-vite avec un fort dosage de levure a sans doute contribué à ancrer cette perception d’opposition de la levure et du levain. Mais la juste dose de la levure est la dose qui permet au boulanger de diriger sa fermentation comme il le souhaite, lente ou rapide, et d’obtenir le produit final qu’il désire. En tout état de cause la levure reste irremplaçable dans la levée de la pâte, ne l’oublions pas. Il ne peut pas y avoir de fermentation sans levure. Même un levain de boulanger réalisé sans levure ajoutée doit sa capa- cité de pousse aux levures sauvages qui le peuplent naturellement. » Stéphane Lacroix, directeur commercial Lesaffre France et Président de la CSFL

 

 

POUDRE À LEVER VS LEVURE DE BOULANGERIE : LA BRIOCHE AU BANC D’ESSAI

 

Christophe Gautier, manager du Baking Center pour l’Europe de l’Ouest

En juin dernier, le Baking Center Lesaffre de Marquette-lez-Lille ouvrait son atelier au tournage d’un reportage grand public sur la brioche. Pour l’occasion, deux recettes ont été préparées en direct : l’une à base de poudre levante, l’autre à base de levure de boulangerie. « Nous souhaitions montrer aux consommateurs que faire un pain avec de la poudre à lever, comme certains ont cru pouvoir y arriver pendant le confinement, relevait du mirage, témoigne Christophe Gautier (manager du Baking Center pour l’Europe de l’Ouest). La brioche se prêtait bien à l’expérience : c’est une recette à la fois similaire à celle du pain et proche des préparations sucrées à base de poudre levante ». À la sortie du four, le constat est sans appel : la brioche avec poudre à lever fait pâle figure… Christophe Gautier explique : « La poudre à lever, qui a besoin d’humidité pour entrer en réaction, se prête très bien aux pâtes liquides des gâteaux ou des pâtisseries amé- ricaines de type muffin. Quant à réussir sa pâte à pain avec, c’est une autre histoire… que les réseaux sociaux ont vite fait de pro- pager comme une fake news. »